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10 Septembre 2012, 10:11am

Publié par learning-from.over-blog.fr

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Inventaire des situations habitées dans la Florence House, LF 2011

Inventaire des situations habitées dans la Florence House, LF 2011

" En 2010, nous avons créé un atelier d’étude et de projet à l’Ecole d’Architecture de Toulouse et nous l’avons intitulé Atelier Learning From. Le choix d’un nom, c’est important pour résumer une approche de l’architecture. Ici bien-sûr ce qui me plaît c’est que le nom «Learning From», au delà de l’allusion aux travaux de Ed Ruscha ou Robert Venturi, est une expression inachevée, «learning from what ?». Donc c’est un processus de travail et non une forme finale. 

Ainsi, cet intitulé désigne d’abord une attitude de concepteur, je veux dire une manière d’aborder le travail en architecture qui est basée sur un décentrement. Pour les étudiants, comme pour les architectes, il s’agit d’adopter le point de vue des autres, c’est ça le décentrement. Partir du monde, des choses qui nous entourent, du contexte pour proposer une architecture pertinente et adaptée. 

En fait, nous affirmons qu’il n’y a aucune différence entre apprendre et faire, entre apprendre et produire. C’est assez radical. Souvent, dans le milieu de l’architecture en particulier, on estime qu’il y a un temps pour apprendre et puis un autre moment pour appliquer ce qu’on a appris, et donc pour agir. Mais apprendre devrait être l’ambition première de chaque architecte dans chaque projet, car intervenir sur le monde n’a aucun sens si on ne s’informe pas du monde, si on n’apprend pas. 

Donc nous, nous estimons qu’un groupe d’étudiants qui apprend peut produire des propositions d’architecture pertinentes justement parce que les étudiants expérimentent la situation d’apprentissage.

Bien sûr cette attitude de travail entraîne certaines remises en cause des hiérarchies établies entre ce qui est digne d’intérêt ou non pour l’architecte dans les situations que l’on aborde. Rien n’est exclu a priori, il faut examiner les choses avec attention, le site, les gens, les modes de vie, la construction, les ressources, tout ce qui est déjà là et qui contient peut-être une réponse intelligente là ou on voyait d’abord un problème à résoudre.

Un regard accueillant

L’attitude «Learning From» je pense qu’elle correspond à un regard accueillant envers ce qui n’est pas attendu, imprévu. 

C’était très frappant durant le EUNIC studio 2010 à Johannesburg. Les étudiants de notre atelier «Learning From» ont rencontré des étudiants sud africains afin de constituer des groupes de travail et traiter de la situation critique dans la Florence House. Une première découverte c’est tout ce que ces jeunes avaient en commun, et d’abord la diversité des origines, des personnes et des langues. 

Ensuite, lorsque les groupes ont abordé le contexte de la Florence House, il se sont aperçu immédiatement que la population qui était logée dans ce bâtiment provenait essentiellement d’une immigration extérieure à l’Afrique du Sud. Soudain, la situation prenait un sens inattendu, il s’agissait de réfléchir au sort réservé aux immigrés dans un pays qui attire les populations pauvres. Donc une question très contemporaine, très difficile et qui concerne aussi bien la France et l’Europe. 

Les étudiants découvraient cela, ils voyaient que nous nous posons les même questions et que le décentrement ce n’est pas l’exotisme pittoresque. Et alors là le travail devient vraiment un échange productif entre les étudiants, les enseignants et avec les habitants.

Qu’est-ce qu’un résultat en architecture ?

La question qu’on devrait toujours se poser est : «Qu’est-ce que c’est un résultat en architecture ? Qu’est-ce qu’on obtient ?». Les architectes sont souvent obsédés par l’idée de produire un objet, faire une architecture visible, laisser une trace etc. Il faut que les gens en aient pour leur argent en quelque sorte, vous voulez de l’architecture? donc la voici. Ce sont des attitudes d’auteur, de vedette, qui s’expliquent beaucoup par le système de production économique dominant de l’architecture en occident. La nature de la commande implique en général de faire des plans masses, des pleins, des objets etc. d’adopter une approche quantitative plutôt que qualitative et critique. Et de raisonner sur des objets statiques comme s’il devaient exister, tels quels, pour toujours et sans évolution possible.

Dans le cas de notre atelier Learning From nous cherchons à produire au contraire, je dirais, des réponses provenant de la situation étudiée. Pas de solution unique ou globale, et donc plutôt des réponses multiples et parfois hétérogènes, avec une idée de connexions possibles des différentes propositions qui sont faites par différents groupes de projet.

Si on voulait paraphraser le philosophe Gilles Deleuze dans son livre Mille Plateaux, on peut dire que c’est une approche rhizomatique, et qu’elle accorde une place importante à la dimension collective du projet d’architecture. 

Le projet est conçu comme un assemblage, comme un agencement de recherches différentes, et donc ce n’est pas une sculpture, une oeuvre, c’est un parcours sans point culminant.

Identifier les ressources

Les étudiants ont observé, écouté, interprété le contexte de la Florence House, et ils y ont trouvé une grande richesse de situations et d’informations. Leur travail alors a consisté à soutenir et intensifier ce qui était déjà donné. Ça n’a rien de simple, il faut trouver les points d’appui et ce sont parfois des choses très petites. 

Par exemple certains étudiants ont observé l’importance des couloirs. C’est une chose simple, bien que la plupart des habitants étaient souvent reclus chez eux, avec leurs portes toujours closes, les couloirs de distribution étaient les lieux où se déroulait tout de même des échanges. Malgré les défaillances de l’éclairement, les enfants y jouent et y circulent, des gens discutent appuyés aux murs, il y a des personnes qui passent le balai etc. En réalité, la capacité de ces couloirs à accueillir des activités résulte de leur largeur inhabituelle parce que La Florence House est un ancien hôpital et donc les couloirs sont surdimensionnés pour le croisement des brancards. 

C’est une ressource que la plupart des groupes ont exploitée. D’autres groupes ont fait la même observation sur l’existence d’un très grand patio central qui abrite seulement des escaliers de secours d’évacuation de l’hôpital et qui sont aujourd’hui très largement utilisés par les habitants pour circuler entre les niveaux. C’est une pratique qui a pu être intégrée et développée dans les propositions.

Connecter les témoignages

L’observation des usages existants autour de l’eau, du lavage du linge et des laveries improvisées a aussi permis de dégager des propositions architecturales. Ce qui était passionnant dans ce cas précis c’est que des étudiants ont pu connecter cette observation avec un témoignage recueilli dans le squatter camp de Cliptown où un habitant avait dit ceci : «Every house that you see when you look around, they all come here for water, they all collect their water here. This is just more than a tap or more than a story about this tap. Such instruments are the one that manage to put us together. You know, I mean you’ll find out ten people coming at the same tap at the same time. That’s where conversation starts, that’s where relationship starts. That’s where people get to know each other more better.»

Le fait que le système de distribution de l’eau soit un outil de sociabilité dans la communauté des habitants, était un de ces points d’appui que recherchaient les étudiants. Donc des propositions ont été faites pour valoriser les pièces destinées à l’eau, au lavage et au séchage du linge etc. 

Le contexte dans les livres

De nombreux autres dispositifs de projet ont été importés du contexte, mais pour certains d’entre eux il ne suffisait pas d’observer la réalité pour les trouver. Il fallait se documenter, utiliser une recherche plus élaborée et se confronter à des expertises assez savantes. D’abord avec des livres tout simplement. 

Il n’est pas possible d’aborder un contexte dans sa subtilité sans s’aider des travaux qui nous précèdent sur le sujet. Lorsque Carin Smuts a apporté dans le studio du workshop le livre de Lauren Segal, «Number Four, The making of Constitution Hill», alors l’histoire du quartier où se trouve la Florence House a surgi, et c’est devenu comme une des données les plus importantes du contexte de projet. Number Four, la prison de Mandela, de Gandhi, etc. devenue à présent le siège de la Court Constitutionelle d’Afrique du Sud ! Le livre explique ce choix et donne donc une lecture du site très importante, capitale, qui a informé les travaux des étudiants. Plusieurs projets ont fait des propositions de valorisation du commerce spontané en direction des nombreux touristes qui viennent visiter Constitution Hill. 

C’était très pertinent, mais pour identifier cette ressources il fallait s’appuyer sur une expertise très élaborée. Les librairies et les bibliothèques sont des outils de projet, voilà une réalité que l’on expérimente même dans les situations d’urgence, de crise ou de contrainte liée au temps."

 

Extrait du livre "learning from, acting and thinking on urban renewal" edition 2013 https://issuu.com/daniel-estevez/docs/livre_ve_2010